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Un cercle d'avant-garde

Dans le Paris de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, le salon de l’avenue Duquesne tient une place particulière pour la remarquable société qui s’y rassemble. Homme de peinture et de musique, Henry Lerolle y reçoit des peintres, sculpteurs, musiciens, romanciers et poètes dont la postérité a retenu le nom. Au milieu de leurs œuvres, qu’il collectionne en amateur, Lerolle reçoit Degas, Besnard ou Denis, et c’est au piano que Debussy et Chausson, habitués des lieux, partagent leurs créations. Mallarmé, Claudel, Gide ou Valéry participent également aux soirées dont ils ont laissé de brillants témoignages. Mais c’est peut-être à Maurice Denis que revient d’avoir le mieux évoqué Henry Lerolle et son cercle, dans un petit opuscule désormais accessible en ligne sur la plateforme Gallica de la Bibliothèque Nationale de France, Henry Lerolle et ses amis, dont nous reproduisons ici quelques extraits.

Maurice Denis évoque Henry Lerolle et son cercle

Source : Gallica

Nocturne de Chopin SA Colombes Henry Lerolle

Nocturne de Chopin

SA Colombes

« Ô mes morts tristement nombreux ! À ma liste déjà longue s'est ajouté l'an dernier un deuil nouveau : et je renonce à dire avec quel chagrin j'appris au début de mai 1929, à mon retour d'Orient, en débarquant à Marseille, la mort d'Henry Lerolle dont j'avais connu pendant trente-huit ans la délicate et réconfortante amitié. J'arrivais trop tard pour le voir une dernière fois ; pour dessiner ses traits à son lit de mort, pour être le témoin de sa dernière expression, dans ce suprême tête-à-tête où j'ai tant de fois, hélas ! à travers la pâleur et l'immobilité d'un visage, surpris le reflet d'une âme, le testament de toute une vie, l'attente de la résurrection.

 

Je me rappelle ce jour d'avril 1891 où j'allai chez lui pour la première fois, son accueil, sa cordialité et mon agréable surprise quand je pénétrai dans sa charmante demeure. J'avais exposé aux Indépendants, qui se tenaient alors au Pavillon de la Ville de Paris, depuis longtemps disparu, sur le Cours la Reine. C'était mon premier début dans ce milieu d'avant-garde; les tendances nouvelles n'étaient appréciées que d'un public fort peu nombreux. […]

 

Découvert et protégé par lui, le débutant que j'étais pénétrait ainsi dans un milieu raffiné, élégant et confortable, et qui, sans être ni mondain, ni officiel, était tout de même très différent des brasseries, des crémeries et des cénacles modestes où fréquentait la jeune peinture. L'intérieur d'Henry Lerolle était celui d'un artiste bourgeois, dans le sens traditionnel du terme, qui implique l'urbanité, la stabilité, la vie de famille, et n'exclut en aucune façon la véritable originalité. Ces traditions exquises de la bourgeoisie parisienne que Jacques Blanche a vantées dans le milieu « avancé » de Berthe Morisot, je pense qu'elles étaient un peu guindées au temps des Bertin qui recevaient M. Ingres et Delacroix, et qu'il faudrait remonter à l'époque des Chardin ou des Largillière pour retrouver l'atmosphère d'aimable simplicité, le naturel et le tour d'esprit qui faisaient l'agrément du salon d'Henry Lerolle. […]

 

On rencontrait là Degas, Renoir, Besnard, J. M. Sert, les sculpteurs Alfred Lenoir et Devillez, Mallarmé, Claudel, Gide, Henri de Régnier, Maurice Bouchor, Pierre Louÿs, Paul Valéry, Samain, Adrien Mithouard, Francis Jammes, Pierre Lalo, Octave Maus, Jules Tannery... et surtout des musiciens. »

 

Maurice Denis, Henry Lerolle et ses amis, Paris, Duranton, 1932

 

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