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Biographie - Henry Lerolle

Enfance

Albert Besnard, Henry Lerolle1869, dessin.

BnF, département des estampes et de la photographie

Henry Lerolle est né le 4 octobre 1848, au domicile familial, 1 rue du Foin, près de la place des Vosges. Il est le deuxième fils de Timothée Lerolle, fabricant de bronzes, ciseleur et peintre paysagiste et d’Adèle-Edmée Delaroche, fille d’un ingénieur parisien, entrepreneur prospère en « calorifères ».  Le grand-père Jean-Baptiste, né en 1789, est issu d’une lignée de laboureurs originaires de Lorraine, devenu forgeron, puis ciseleur sur bronze. Il connaît une réussite certaine dans son métier et va s’installer à Paris en 1814 comme « fondeur sur bronze ».

 

La famille Lerolle appartient à cette classe moyenne de la nouvelle bourgeoisie industrielle, étroitement liée à l’essor de l’économie du pays. Ils auront six fils dont quatre decèdent en bas âge. Les deux aînés, Paul et Henry, reçoivent une éducation profondément religieuse, empreinte du respect des humanités. Ils commencent leurs classes chez les Frères des Ecoles chrétiennes, et sont ensuite élèves de l’institution Sainte-Marie, aux Ternes, puis au Petit Séminaire de Notre-Dame-des-Champs.

 

Les Lerolle aiment voyager. Les enfants découvrent tour à tour Lyon, les Alpes (Grenoble, la Grande Chartreuse, le col du Grand St Bernard), l’Italie et le val d’Aoste, la Suisse et Zermatt, mais aussi Marseille, entre la montagne Sainte-Victoire et le massif de la Sainte-Baume, à Saint-Zacharie où est établi Léon, quatrième fils de Jean-Baptiste et frère de leur père. Henry y fait de nombreux séjours. Saint-Zacharie était le lieu de retraite de Sainte Madeleine et des Saintes Maries de la mer, lieu imprégné de la lumière que Cézanne allait célébrer.

Formation artistique

Godet, Henry Lerolle, vers 1880, photographie. 

Documentation du musée d’Orsay 

 

Elevé dans une famille où la musique joue un rôle majeur, Henry Lerolle commence très jeune l’étude du violon, avec Edouard Colonne (1838-1873). Il joue avec talent de cet instrument tout au long de sa vie et, devenu peintre, singulièrement, déclare « qu’on peut vivre sans peinture, mais certainement pas sans musique ».

 

A seize ans, Henry Lerolle entre dans l’atelier de Louis Lamothe, lui-même ancien élève d’Ingres et maître de nombreux peintres de cette génération, parmi lesquels Edgar Degas. L’une de ses premières œuvres, Chevreuils en forêt, est acceptée au Salon officiel de 1868. Il fréquente ensuite l’Académie Suisse où il se lie d’amitié avec Albert Besnard. 

 

Au Louvre, il copie Poussin, Rubens et Veronèse, croise Manet, Regnault et Forain. Il admire alors les œuvres d’Hippolyte Flandrin et de Pierre Puvis de Chavannes.

 

En automne 1871, après l'insurrection de la Commune, Paul et Henry font un pèlerinage à Notre-Dame-de-la-Délivrande dans le Calvados, près d’Houlgate et du chalet familial de leur grand-père Jean-Baptiste où adolescent Henry a fait la connaissance de Berthe Morisot, avec laquelle il partait peindre sur le motif. Les deux frères continuent leur voyage à travers la Belgique et la Hollande. Allant de cathédrales en monastères, ils n’oublient pas les musées, où Henry s’émerveille devant les maîtres flamands et hollandais, la lumière et les cieux du Nord.

 

Paul se forge une foi profonde qui va l'amener à devenir le fervent combattant politique de la cause catholique, dans ses mandats de conseiller municipal puis de député de Paris. Henry, lui, se montre plus réservé vis-à-vis de toute tendance dogmatique, se comportant en homme de tolérance pour lequel honnêteté, justice et art constituent pour lui les valeurs essentielles.

 

Il épouse Madeleine Escudier, musicienne accomplie, le 8 février 1876 et s’installe, peu après, 20, avenue Duquesne, dans un quartier nouvellement urbanisé, non loin de ses parents, résidant 10, avenue de Villars depuis 1861. De leur union naissent quatre enfants : deux filles, Yvonne et Christine, nées respectivement en 1877 et en 1879, puis deux garçons, Jacques et Guillaume, nés en 1880 et 1884.

Début de carrière

Henry Lerolle, Dans la campagne,

Salon de 1880, Paris, 2,65 x 4,14 m

Musée d’Orsay

Henry Lerolle, A l’orgue, Salon de 1885

2,35 x 3,60 m - New York, The Metropolitan Museum of Art

Henry Lerolle se consacre avec passion à la peinture. Connu d’abord pour sa peinture religieuse, genre qu’il contribue à renouveler en y introduisant un certain réalisme, il reçoit au Salon de 1874 d’élogieuses critiques pour Le Baptême de Saint Agoar et de Saint Agilbert, que l’Etat lui achète 3500 francs pour l’église Saint-Christophe de Créteil.

 

Il présente ensuite au Salon une série de sujets religieux : Les pleurs de sainte Marie-Madeleine en 1875, achat de l’Etat pour l’église de Semur-en-Auxois, aujourd’hui disparue ; puis en 1877,  Jésus chez Marthe et Marie (musée des Beaux-arts de Tours) ; en 1878, une Communion des Apôtres, à l’église Saint-François-Xavier de Paris où on peut toujours l’admirer ;  Jacob chez Laban lui vaut une médaille de troisième classe au Salon de 1879 (musée Jules Chéret de Nice). C’est toutefois avec une œuvre d’inspiration rurale, Dans la campagne, qu’Henry Lerolle remporte une médaille de première classe au Salon de 1880. Ce tableau monumental, acquis cette fois pour le musée du Luxembourg (actuellement au musée d’Orsay), suscite un engouement tel que l’œuvre sera reproduite par neuf artistes différents dont le graveur Focillon – une notoriété qui rivalise avec celle dont fait l’objet l’Angélus de Jean-François Millet. 

 

Dans les années 1880, le goût de Lerolle pour les scènes de plein-air en fait un observateur attentif de la vie à la campagne. Nombreuses sont ses œuvres représentant des femmes au travail, telles que Les Moissonneuses (musée des beaux-arts de Mulhouse) ou Paysanne portant des seaux (musée des Beaux-arts d’Orléans). Durant cette décennie, la peinture d’Henry Lerolle alterne entre sujets naturalistes et religieux. Les œuvres de grand format se succèdent, à l’instar de Au bord de la rivière, Salon de 1881 (Boston, Fine Arts Museum)  et de L’adoration des Bergers, Salon de 1883 (musée des Beaux-arts de Carcassonne), que le critique Paul Mantz salue comme « apportant une vision poétique et surprenante ». Mais le grand succès de cette période vient de la présentation, au Salon de 1885 d’un très grand format, À l’Orgue. Henry Lerolle y représente sa famille participant à un office, probablement à la paroisse de Saint-Gervais de Paris. Ce tableau est vendu en 1886, lors de la première exposition organisée par le marchand Paul Durand-Ruel à New York, à un collectionneur américain, George I. Seney, qui le donnera un an plus tard au Metropolitan Museum of Art de New York. La musique reste au cœur de la peinture de l’artiste : « Henry Lerolle, en peignant, fait entendre de la musique », écrit un critique de l’époque.  

Les années 1890 : le cercle et l’intime

Henry Lerolle Portrait par Ramon Casas

Musée national d'art contemporain de Catalogne

Henry Lerolle atteint très vite une notoriété certaine. Dans l'intérieur harmonieux du 20, avenue Duquesne, au luxe discret avec ses meubles de famille ou modernes, son grand piano à queue noir, ses murs tapissés des papiers-peints jaune clair de William Morris, Lerolle commence à collectionner les œuvres de ses contemporains, Degas d’abord, Fantin-Latour, Puvis de Chavannes, Besnard, Renoir, Gauguin, Carrière, mais également Cassatt, Whistler, Thaulow et tant d’autres, sans oublier les maîtres anciens : les tableaux de Chardin et de Poussin côtoient des dessins français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècle, mais aussi les estampes japonaises très recherchées depuis l’ouverture du Japon de l’ère Meiji en 1868.

 

Lerolle peint dans son atelier de l’avenue Duquesne, au-dessus du salon où il réunit dans une atmosphère d’aimable simplicité, de naturel et de goût, ses amis : les peintres Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Jose-Maria Sert, le jeune Maurice Denis ; les musiciens Claude Debussy, Vincent d’Indy, Paul Dukas et son propre beau-frère, Ernest Chausson ; les écrivains Pierre Louÿs, Stéphane Mallarmé, Paul Valéry, Paul Claudel, André Gide… pour le plaisir de la musique et de la conversation.

 

Dans ces années 1890, Lerolle aborde un registre privé, avec des scènes d’intérieur, portraits et natures mortes, représentant le plus souvent son épouse Madeleine ou ses filles Yvonne et Christine, dans l’univers familial de l’avenue Duquesne, lisant, cousant ou jouant du piano, dans une atmosphère intimiste et sereine. Yvonne et Christine épouseront respectivement, sous l’amicale pression d’Edgar Degas, Eugène et Louis Rouart.

Commandes décoratives et honneurs officiels

Henry Lerolle, vers 1900, photographie.

Collection particulière

Au tournant du siècle, Henry Lerolle décrit, dans de très grands formats, des scènes très composées à l’atmosphère intemporelle, où de jeunes femmes, tout de blanc vêtues, évoluent dans une nature idyllique, au bord d’étangs cernés de frondaisons : Douce journée (Salon de 1897) ; Femmes se promenant le long de l’eau (Salon de 1905). Nombreuses sont également ses variations sur le thème des femmes à leur toilette.

 

En parallèle, l’artiste continue à recevoir des commandes de grandes décorations. Il y reprend les thèmes qui lui sont chers : iconographie naturaliste et républicaine pour la Sorbonne (1889) et l’Hôtel de Ville de Paris (1889-1890) ; sujets religieux pour l’église parisienne de Saint-Martin-des-Champs (1890), la chapelle de Notre Dame du Calvaire à Paris (1896), le couvent des Dominicains de Dijon (1898) et l’église Notre-Dame-de-la-Gloriette à Caen (1901) ; thématiques musicales à la Schola Cantorum.

 

La fin du XIXe siècle est pour Henry Lerolle marquée tant par les honneurs que par la mélancolie. Membre du jury de l’Exposition universelle de 1889, il est décoré de la Légion d’Honneur la même année. En 1890, il participe à la fondation de la Société nationale des Beaux-Arts. Dix ans plus tard, il est cependant cruellement atteint par la mort accidentelle de son plus cher ami et beau-frère, le compositeur Ernest Chausson. L’Affaire Dreyfus, qui sépare la France depuis quelques années déjà, n’épargne pas le cercle du peintre : des proches, tels Degas ou Ernest Rouart (mari de Julie Manet et frère des époux d’Yvonne et de Christine), sont de virulents antidreyfusards, auxquels cependant Henry Lerolle ne tient pas rigueur, par amitié et souci de la liberté de penser. Il continue de participer aux Salons jusqu’en 1922, peignant dans son atelier de l’avenue Duquesne et recevant ses fidèles amis artistes, laissant l’image d’un homme éclairé, découvreur de talents et témoin actif d’une époque favorable à l’apparition de génies originaux.

 

Henry Lerolle meurt le 22 avril 1929, il est inhumé au cimetière du Père Lachaise. Peu après sa mort, son ami Maurice Denis lui rend hommage dans un petit ouvrage qui rend compte, non sans une certaine nostalgie, du brillant cercle formé autour du peintre et de sa famille  : « On ne saurait dire assez le charme de sa personne, de sa conversation, de son amitié […]  il y avait en lui du grand bourgeois et du gamin de Paris ».

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